L’intersyndicale CFDT Education Publique, CGT Educ, FSU, Sud-Solidaire et UNSA a sollicité une audience auprès de M. Bablon, DASEN de Haute-Savoie, afin d’échanger sur un enjeu fondamental pour notre système éducatif : l’école inclusive et les conditions d’apprentissage et d’accompagnement des élèves en situation de handicap, notamment à travers le rôle essentiel des AESH. Nous jugeons crucial de porter à votre attention les difficultés persistantes rencontrées sur le terrain : manque d’AESH, précarité de leur statut, complexité des accompagnements, et inégalités territoriales. Ces problématiques ont un impact direct sur la qualité de la scolarisation des élèves concernés et sur les conditions de travail des professionnels de l’éducation.
Table des matières
Depuis plusieurs années, nous observons des difficultés persistantes concernant
l’accompagnement des élèves en situation de handicap.
Les constats pour les élèves
● Une situation qui peut générer de la maltraitance : des élèves en situation de handicap mal accueilli·es et donc en souffrance, pouvant faire des crises violentes subies par leurs camarades, les adultes des établissements (enseignant·es, AESH, ATSEM, AED, personnels de périscolaire) et les parents spectateurs du mauvais accueil réservé à leur enfant ou des violences qu’il ou elle peut subir. Tout le monde est en souffrance ! Les élèves à besoins éducatifs particuliers nécessitent aussi une présence et une attention supplémentaire qui met actuellement à mal la prise en charge de tout le groupe classe.
● Suivi médical des élèves non efficient : tout repose sur les enseignant·es, manque de personnels médico-sociaux. Si le handicap était diagnostiqué plus rapidement avec une prise en charge plus efficace, l’inclusion le serait également.
L’accompagnement par les AESH est un véritable problème
● Le manque d’AESH est criant : de nombreux élèves se retrouvent sans accompagnement ou avec un accompagnement partiel qui ne répond pas à leurs besoins.
● Ensuite, la précarité du statut des AESH est un véritable problème : contrats courts, temps partiels imposés, salaires extrêmement faibles, ce qui entraîne un turn-over important et une perte de compétences précieuses.
● L’organisation même des accompagnements est devenue très complexe, avec des AESH qui doivent intervenir auprès de plusieurs élèves ou établissements, rendant leur action moins efficace.
● Enfin, nous constatons de fortes inégalités territoriales : selon l’établissement, la commune ou le secteur, les moyens ne sont pas les mêmes, ce qui crée une école à deux vitesses.
Les enseignant·es sont également en souffrance à cause
● Surcharge de travail administratif en lien avec le handicap
● Surcharge de travail relationnel, avec les parents, les partenaires de soin, les AESH
● Surcharge mentale pour adapter la pédagogie et souffrance éventuelle pour gérer les crises
● D’un manque de formation
● D’un manque de relais dans le champ du médico-social et du champ sanitaire
Lors de cette audience, nous avons indiqué vouloir connaître le regard de M. le Dasen sur l’école inclusive et ses constats dans notre département. Quelles sont les conditions de la normalité (sécurité et sérénité d’apprentissage) de scolarisation ? Selon lui, quels leviers peuvent être actionnés, à l’échelle législative et budgétaire, pour améliorer la situation ? Comment envisage-t-il d’intervenir ou intervient-il pour faire remonter ces réalités ? Quels relais peut-il activer afin de soutenir des propositions concrètes en faveur des AESH et de l’inclusion scolaire en Haute-Savoie ?
Réponses de M. Bablon :
Le DASEN a souhaité expliquer vers quoi on allait sur l’école inclusive.
En 2005, la loi prévoyait de travailler sur deux aspects : accessibilité et compensation La mise en place de la loi s’est traduite par de l’aide humaine (avec les AESH).
Dans la réalité, on a travaillé presque uniquement sur le volet compensation et presque pas sur l’accessibilité. Seulement on touche les limites du système.
On ne pourra pas recruter davantage d’AESH. C’est irréalisable en terme de budget et peu opérant dans les classes : il y aurait trop d’adultes dans les classes.
M. Bablon pense qu’il est indispensable de développer dans les établissements des dispositifs d’«autorégulation» avec une équipe pluridisciplinaire présente et formée, des enseignant·es formé·es au handicap, évolution du métier d’AESH avec une meilleure formation et une meilleure rémunération pour travailler différemment.
Ces établissements offriraient la possibilité d’avoir une échappatoire pour les élèves en crise (salle pour s’isoler, prise en charge par d’autres professionnel·les (psy, éducateur·rices…) pour pouvoir aller parler à quelqu’un, libérer ses émotions, des salles encadrées par des personnels formés (psy, ergothérapeuthe,…)
Actuellement, 2 dispositifs DAR (Dispositif d’Autorégulation) existent dans le 74.
M. Bablon souhaite que le département devienne « pilote » de ce type de ispositif dans l’académie.
Mais il faut absolument le personnel, et cela passe par des discussions avec l’ARS (Agence Régionale de Santé) qui dit avoir les moyens financiers pour la création des PAS et des EMAS. L’enfant handicapé doit s’épanouir, avoir une vie sociale.
Pour M. Bablon, le gros problème est la formation des personnels et des équipes éducatives.
Actuellement, il y a 4 PAS dans le département avec 4500 élèves. 15 nouveaux seront créés à la rentrée prochaine avec, à chaque fois, un·e coordinateur·rice rattaché·e à l’EN et un·e coordinateur·rice rattaché·e à l’ARS. Une EMAS serait également rattachée à chaque PAS. On passerait de 27 PIAL à 35 PAS à l’horizon 2027 (avec disparition des PIAL)
La MPDH se chargera toujours des AESH (quotité, contrat , …)
Le budget de l’ARS doit servir à créer des EMAS (1 pour chaque PAS soit 35 EMAS)
Du côté du département, M. Bablon nous répond que « La DSDEN se créera les budgets nécessaires » et qu’une stabilité financière dans un contexte de baisse démographique devrait permettre de financer les PAS.
Au vu du nombre de moyens humains que ce dispositif demande, nous nous inquiétons que les EMAS soient vite débordées même si l’ARS indique qu’ils ont les moyens de le faire.
Y aura-t-il des postes ouverts pour ce dispositif ? notre constat est qu’il y a du retard de prise en charge, de pose de diagnostic (problème du manque de personnels médicaux). Aujourd’hui il faut en moyenne 2 ans avant qu’une prise en charge soit finalisée.
L’autre problème est la prise en charge médico-sociale : il faut rendre plus rapide l’accès aux soins « inclusifs ».
M Bablon nous indique que c’est pour cela que l’ARS a eu des moyens pour développer les EMAS.
Nous rappelons que dans le secondaire, on parle de classe à 25 jusque 30 élèves ! Côté accessibilité, cela est problématique : pas de sérénité, pas les conditions spatiales ….
La perspective est belle mais dans les faits, le manque de personnels, le peu d’attractivité
(salaires), nous laissent sceptiques sur la réelle application du dispositif présenté.
La loi handicap a déjà 20 ans ! Nous ne voulons pas attendre encore 10 ans que cela se mette en place.
Le projet de M. Bablon sur l’école inclusive est porté au niveau académique.
Pour lui, réduire à 10 élèves par classe pour un élève TSA n’est pas la solution, il faut des salles d’autorégulation. Pour les élèves TDAH et TSLA on peut travailler l’accessibilité sans AESH la plupart du temps (avec des PAP plus opérationnels). Il faut aussi palier le problème de la formation des enseignant·es qui n’apportent pas les réponses adaptées face aux élèves ayant des troubles : il faut connaitre le trouble pour le gérer. Pour M. Bablon, « Non, un enfant handicapé n’empêche pas la classe d’avancer. » Pour nous, cela est vrai quand il y a les moyens pour son inclusion mais malheureusement cela est bien souvent le contraire que nous vivons dans nos classes à cause du manque de moyens.
Nous précisons que ce n’est pas la volonté des enseignant·es qui fait défaut mais le manque d’informations et de formation : qu’est-ce que je fais / je ne fais pas face aux élèves avec un TSA, comment les identifier… La formation doit être donnée à tous les personnels, en collectif avec les AESH, psy-EN …
Il faut également structurer, rédiger un protocole, car il est évident que tous les dispositifs présentés par M. Bablon, ne sont pas connus des personnels
Nous faisons remarquer qu’on ne parle pas assez de la pédopsychiatrie (CMPI) au moment où il faut structurer toutes les équipes autour de l’école inclusive, c’est dommage de ne pas les associer. Nous sommes de plus en plus face à des élèves qui ont des troubles du comportement, les choses s’amplifient avec le temps si aucun soin n’a été apporté à ces enfants dès le plus jeune âge (souvent violent·es car en souffrance).
Cela se voit dans les fiches SST dont le nombre augmente sur ces thématiques. Les enseignant·s ne sont pas des soignant·es. C’est face à ce genre de situations compliquées, voire ingérables que les enseignant·es viennent à dire « qu’ils ne peuvent plus enseigner ». Beaucoup de collègues sont en souffrance : les AESH, les enseignant·es, les élèves en crise, les camarades qui subissent, les parents concernés. Nous avons la nécessité d’agir pour l’école inclusive. Pour nous, c’est inimaginable de ne pas s’occuper de ces élèves mais il faut des moyens.
Le mal-être des enseignant·es face à l’école inclusive, l’abandon par certain·es est le constat de 20 ans de mauvaise gestion de l’école inclusive. Le ministère a mis beaucoup de temps à se rendre compte qu’il y avait des problèmes sur le terrain. Les collègues ont accumulé cette souffrance et ça explose maintenant. Ils / elles sont en situation de crise, ils / elles n’en peuvent plus. L’institution doit communiquer rapidement en apportant des réponses et des solutions.
M. Bablon conclut : le rectorat a dans son projet académique un axe fort autour de l’école inclusive qui sera la formation des équipes enseignantes. La culpabilité des enseignant·es c’est comment je fais avec 30 élèves si je m’occupe des élèves en difficulté, que je ne m’occupe pas des autres.
Les moyens ne doivent plus être mis uniquement sur des postes d’AESH (2000 dans le département). Ils doivent être mis dans la formation des enseignant·es et des AESH. Pas formés et seuls face aux difficultés ils ne peuvent pas y arriver. Beaucoup de choses ont déjà été faites, beaucoup de moyens ont été mis, le nombre d’ULIS est important dans notre département. Il y a un travail à faire aussi sur l’orientation : trop souvent les élèves en situation de handicap sont orientées vers les filières professionnelles qu’ils / elles ne peuvent pas suivre à cause de leur handicap.
Il est faux de dire qu’il y a un manque de moyens pour l’école inclusive dans notre département mais il faut une autre répartition de ces moyens. On va communiquer sur tous les dispositifs disponibles auprès des IEN, inspecteurs et des personnels de direction.
Il souligne qu’il faut qu’il y ait un changement radical de la gestion de l’école inclusive et que cela ne se fera pas du jour au lendemain.
L’avis de l’intersyndicale
L’intersyndicale CFDT Education Publique, CGT Educ, FSU, Sud-Solidaire et UNSA reste inquiète des perspectives : aussi bien au niveau de la politique générale que sur les baisses annoncées de moyens humains et financiers pour l’Education Nationale.
Nous restons convaincus que des solutions existent pour avancer vers une école véritablement inclusive :
• Des moyens humains et matériels notamment l’adaptation des locaux et des effectifs compatibles avec la réalisation de l’école inclusive : pour répondre réellement à tous les besoins des élèves.
• Recruter massivement des AESH pour couvrir les besoins réels.
• Créer un véritable statut de l’accompagnant des élèves à besoins particuliers, fonctionnaires de l’éducation nationale de catégorie B recruté.e.s à temps complet à 24h hebdomadaires.
• Renforcer la formation initiale et continue afin que chaque AESH et enseignant·e soit mieux préparé·e et accompagné·e dans sa mission. Dans le 1er degré, cela passerait par des formations en résidence pédagogique mais seulement pour quelques écoles : impossible de le faire partout avec les plans de formation maths / Français actuels.
• Harmoniser les moyens alloués sur le territoire pour mettre fin aux inégalités entre établissements.
• Donner les moyens aux Psy EN et la possibilité aux élèves porteurs de handicap d’une orientation choisie et accessible qui ne soit pas réduite comme aujourd’hui à des filières souvent professionnelles très restreintes et en inadéquation avec leurs souhaits comme avec leurs capacités.
• Enfin et avant toute refonte de l’accompagnement des élèves à besoins particuliers, recruter et mettre en place les équipes pluridisciplinaires associant enseignant.e.s, AESH et personnels médico-sociaux dans les EPLE afin de mieux coordonner les accompagnements. »
Nous souhaiterions avoir les moyens de répondre aux besoins spécifiques de chaque élève
pour permettre à tous·tes les élèves d’apprendre dans des conditions normales.
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